fantasmagoria rimbaldicula
op.1

« Je vais éveiller tous les mystères: mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories. »
Arthur Rimbaud, Une Saison en enfer, avril-août 1873, « Nuit de l’enfer »
Composition scénique, work-in-progress
Création in situ le 16 octobre 2020 à la Maison des Ailleurs (Charleville-Mézières), dans le cadre de la Biennale des Ailleurs, avec le soutien de la ville de Charleville-Mézières.
Cette pièce est articulée sous trois formes distinctes mais intimement reliées entre elles : une version in situ à la Maison des Ailleurs, une version scénique, et une version sonore/radiophonique.
Note d’intention, par Laurent Prost-Deschryver
« Je suis maître en fantasmagories. »
– Nuit de l’enfer
allen’s hell – fantasmagoria rimbaldicula est la première création de la compagnie attanour, fondée en mars 2020 dans les Ardennes françaises, à Charleville-Mézières, par Laurent Prost-Deschryver.
Cette œuvre théâtrale se présente comme une élaboration de trois matériaux textuels: le texte d’Arthur Rimbaud Une Saison en enfer (1873), certaines des Illuminations, ainsi qu’une conférence d’Allen Ginsberg sur Arthur Rimbaud prononcée en 1975 (Naropa Class). Entre fantasmagorie foraine et expérimentations visuelles et sonores, allen’s hell nous emmène dans les affres d’un combat spirituel « aussi brutal que la bataille d’hommes » (Adieu).
Le point de départ de ce travail est une anecdote savoureuse : en 1982, le grand poète américain Allen Ginsberg, de passage à Charleville-Mézières, demande à dormir une nuit dans la chambre d’enfance d’Arthur. Au milieu de la nuit, il est frappé de stupeur : il voit, dans le téléviseur en face de lui, le visage de Rimbaud lui apparaître – avant de se rendre compte qu’il ne s’agissait que du reflet de son propre visage.
Cette anecdote a orienté, dès l’origine, ce projet sur la question du spectre. Car le théâtre est par excellence le lieu d’apparition des êtres de l’outre-monde – ainsi que l’énonce par exemple Jean Genet : « Quand le rideau se lève, nous entrons dans un lieu où se préparent les simulacres infernaux. » (Le Funambule, 1957) Ainsi, plutôt que de travailler sur l’incarnation impossible d’un hypothétique « Moi » d’Arthur Rimbaud, nous souhaitons évoquer, convoquer et invoquer ses présences-absences spectrales (les « morts-mots », selon l’expression de Bernard Noël dans sa préface aux écrits de Roger-Gilbert Lecomte sur Rimbaud), dans une dispersion et dissémination fidèles à la formule « Je est un autre ».A rebours de l’opinion familière centrée sur la visibilité ou figurabilité du spectre, nous posons que la spectralité est d’abord et avant tout une question sonore : c’est par la voix que le spectre s’annonce. Avec l’acteur et compositeur Tristan Lacaze, nous avons donc entamé une recherche de fond sur la question du son au théâtre, dans le sillage de Carmelo Bene et de sa machine actoriale, en s’appuyant sur divers dispositifs technologiques : logiciels de séquençage, analyseurs de spectres acoustiques, radio pirate, micros, traitement électronique de la voix en temps réel, etc.

On peut traiter le spectre comme une affaire grave et sérieuse, en posant la question des traumas passés qui reviennent nous hanter – comme c’est le cas dans le théâtre Noh, ou chez des metteurs en scène comme Claude Régy -, ou bien par la médiation d’une perspective carnavalesque. En effet, les histoires de fantômes et d’apparitions ont toujours connu une grande place dans les réjouissances populaires, et ce notamment à l’époque des grandes fêtes foraines, auxquelles s’est désormais substitué le cinéma – art des fantômes s’il en est, et qui fut d’abord une attraction foraine mineure avant de devenir une industrie autonome. Ainsi, c’est dans un tel contexte forain que le « physicien-aéronaute » Robertson présenta à la fin du XVIIIe siècle sa fabuleuse invention, anticipation du cinéma, pour laquelle il inventa le vocable « fantasmagorie », ou art de faire parler les fantômes en public. Comme nombre de ses collègues, Robertson tenait à la fois du scientifique, du bricoleur et du charlatan.
C’est dans cette double direction d’une fantasmagorie expérimentale, technologique et foraine, que notre recherche s’est orientée – rejoignant ainsi certaines intuitions de Meyerhold sur le balagan (baraque de foire) qui lui servit de modèle pour réinventer un théâtre populaire d’avant-garde.
Cette dimension fantasmagorique et foraine est constitutive du texte halluciné de Rimbaud – ainsi dans Nuit de l’enfer :
« Je vais dévoiler tous les mystères : mystères religieux ou naturels, mort, naissance, avenir, passé, cosmogonie, néant. Je suis maître en fantasmagories. / Écoutez !… / J’ai tous les talents ! – Il n’y a personne ici et il y a quelqu’un : je ne voudrais pas répandre mon trésor. – Veut-on des chants nègres, des danses de houris ? Veut-on que je disparaisse, que je plonge à la recherche de l’anneau? Veut-on ? Je ferai de l’or, des remèdes. »

Pour un théâtre spectral : propositions
« Je crois que l’avenir est aux fantômes, et que la technologie moderne de l’image, de la cinématographie, de la télécommunication décuple le pouvoir des fantômes et le retour des fantômes »
– Jacques Derrida, 1983
allen’s hell – fantasmagoria rimbaldicula est une œuvre théâtrale qui, comme tous les spectres, n’est limitée par l’espace ni le temps – aussi il en existe différentes versions, au nombre de trois :
Version in situ
allen’s hell a été créé à la Maison des Ailleurs à Charleville-Mézières, dans le cadre de la Biennale Internationale de poésie « Les Ailleurs », le 16 octobre 2020. C’est dans cette maison que la famille Rimbaud habita de 1869 à 1875. Nous nous sommes saisis des propriétés architecturales et acoustiques de ce bâtiment pour proposer un spectacle déambulatoire. Cette version durait 1h : nous souhaitons en proposer une nouvelle version plus développée, d’une durée approximative de 4 à 5h.
Version scénique
Ce qui fut acté à la Maison des Ailleurs est par définition non reproductible. C’est pourquoi nous souhaitons traduire sur une scène de théâtre le travail que nous avons mené à la Maison des Ailleurs. Ce travail de traduction permettra à allen’s hell de voyager hors des Ardennes et du contexte très spécifique de Charleville-Mézières, pour apparaître sur les scènes des théâtres qui lui feront accueil.
Version radiophonique
Parce que nous avons dès le départ posé le principe qu’un spectre s’annonce d’abord par le son et la voix, la dimension sonore et musicale d’allen’s hell n’a cessé de prendre une importance de premier plan. Pour explorer jusqu’au bout les possibilités sonores de cette œuvre, nous souhaitons en proposer une version pour la radio (médium que, par ailleurs, nous utilisons dans les versions in situ et scénique).
Crédits :
Mise en scène & Dramaturgie : Laurent Prost-Deschryver
Composition musicale et sonore : Tristan Lacaze
Peinture : Guillaume Favroult
Textes : Arthur Rimbaud, Allen Ginsberg
Acteurs : bombastus, Tristan Lacaze, Alika Stenka
Avec le soutien du Département des Ardennes et du Théâtre Louis Jouvet – Scène conventionnée d’intérêt national (Rethel)
Remerciements : Patrick Agirakis, Aleksi Barrière, Emmanuel Bonamy, Julien Gaillard, Aurore Laloy, Blanche Lorentz, Julien Prost, Pascale Rouet, Les Semelles, Alika Stenka